Exposition

« À la table des Gaulois »

Musée des merveilles | Musée des Merveilles | Expositions | Exposition

  • Du au

Entrée gratuite.

Image en taille réelle, .JPG 475Ko (fenêtre modale) © DR

Entre le Ve et le IIIe siècles avant notre ère, des populations gauloises ont érigé sur un petit sommet du massif du Mercantour une construction monumentale. À l’intérieur des murs, hors du monde ordinaire, aristocrates et élites guerrières y ont tenu d’énigmatiques banquets rituels à l'occasion desquels le tissage des liens de hiérarchies et de pouvoirs a pu être réaffirmé.

Sous les décombres de cet édifice abandonné il y a plus de 2 200 ans, archéologues et scientifiques ont retrouvé des sols jonchés d’armes, de bijoux, de restes humains et de reliefs de repas.

Au travers de ces vestiges fragmentés, l’histoire de ces lointains ancêtres du Mercantour est revisitée à l’aune de ces nouvelles données qui renverse la perception que nous avions des Gaulois du Mercantour. Au-delà des gestes liés au cérémoniel de ces banquets qui renvoie aux pratiques hellénistiques bien connues, on y découvre une population, nombreuse, hiérarchisée, belliqueuse et intégrée dans un réseau commercial au long cours.

En collaboration avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles Provence Alpes Côte d'Azur, le Centre Camille Jullian, la commune de Roubion et le Parc National du Mercantour, cette exposition propose au grand public dans le cadre d’un parcours ludique, didactique et immersif, les premiers résultats de six ans de fouilles et d’études pluridisciplinaires, grâce à des contenus documentaires et iconographiques inédits et une scénographie innovante et riche de centaines d’objets originaux, d’outils multimédias et de maquettes interactives.

Le site archéologique de la cime de Tournerie

Le site archéologique de la cime de Tournerie (commune de Roubion). © Mathieu Mondou

Un sanctuaire sur la montagne

Le site comporte un bâtiment monumental, un système de terrasses et un fossé. L’ensemble couvre une superficie de 4 500 m2. Le premier bâtiment construit est daté de la fin du Ve siècle ou du début du IVe siècle av. J.-C. Après sa destruction par un incendie, le bâtiment a fait l’objet de trois campagnes de réfection majeures puis a été définitivement abandonné au cours du IIe siècle av. J.-C.

POURQUOI CONSTRUIRE UN SITE MONUMENTAL SUR LA CIME DE TOURNERIE ? POUR Y HABITER ?

La position de l’édifice dans l’étage subalpin et enneigé pendant la moitié de l’année le rend inapproprié à une occupation permanente et on peut raisonnablement exclure la fonction d’habitat. On remarque d’autre part l’absence de grands récipients de stockage des denrées à long terme, ce qui confirme que le site n’est pas occupé en permanence.

POUR SE DÉFENDRE ?

Une éventuelle fonction défensive peut être écartée du fait des caractéristiques morphologiques du fossé et des perspectives visuelles qui permettent d’accéder aux paysages lointains, mais pas de contrôler par le regard les abords immédiats du site.

 

Le site est un sanctuaire

Des éléments de réponse apparaissent dans les vestiges découverts, qui permettent de reconstituer les activités réalisées sur le site.

Le monument de la cime de Tournerie regorge d’objets et d’indices qui témoignent de la perduration des mêmes gestes durant les trois siècles de son utilisation. Ces gestes témoignent de rituels. Il s’agit de pratiques bien attestées dans les sanctuaires gaulois comme le
dépôt d’anneaux, de tôles percées, l’exposition de têtes humaines ou encore la destruction volontaire d’objets, pièces de monnaie, armes, bijoux...

Plaques de métal perforées lors de gestes cultuels. © Loïc Damelet

Reconstitution 3D de l’extérieur du bâtiment monumental. © Mathieu Mondou

Les restes organiques témoignent également d’actes rituels. C’est ainsi que des céréales, des noisettes ou encore des préparations alimentaires ont été brûlées, sans être totalement détruites par le feu. C’est là une pratique cultuelle bien identifiée sur divers sites
alpins italiens de cette période. L’une des pratiques attestées régulièrement sur les lieux de culte en Gaule est le banquet. Ici, le sacrifice animal, la découpe, la cuisson et la consommation de viande sont attestés par plusieurs dizaines de milliers d’os de mouton,
bœuf, porc et chèvre. À côté de ces pratiques festives, une partie des quartiers de porc a été distribuée pour être consommée ailleurs ; ces dons constituent une autre des pratiques sociales autour du banquet.

QUE NOUS ENSEIGNE CETTE ARCHITECTURE MONUMENTALE ?

La superposition des murs montre que le bâtiment le plus ancien a été reconstruit au moins à trois reprises tout en conservant le même usage. La répartition des foyers témoigne d’une gestion interne organisée autour d’une vingtaine de foyers fonctionnant
simultanément. 1 à 5 personnes pouvaient siéger autour de chacun d’entre eux.

Compte tenu de la superficie du bâtiment et de la place occupée par les foyers, on peut déduire que le sanctuaire était en mesure d’accueillir une centaine de convives.

Reconstitution 3D de l’intérieur du bâtiment monumental. © Mathieu Mondou

AUTOUR DE QUELLES PRATIQUES S’ORGANISE LA VIE DU SITE ?

Os de boeufs et de caprinés avec traces de découpe. © Loïc Damelet

Grâce à de nombreux indices, il est possible d’attester de l’exécution de gestes rituels.

Le site est dédié à la tenue de banquets rituels

Le raisonnement archéologique rapporte plusieurs indices qui, indépendamment, auraient peu de signification mais, en dialogue les uns avec les autres, acquièrent une forte pertinence.

Les céramiques :

Les poteries comportent essentiellement des pots destinés à cuire les aliments ou de la vaisselle de table. Des analyses des restes alimentaires trouvés dans les pots témoignent de préparations à base de viande de mouton. Les amphores sont totalement absentes et la consommation de vin n’est donc pas attestée par la céramique, mais ce breuvage a pu être conservé dans d’autres contenants. La question de la consommation d’alcool reste ouverte !

Les couteaux :

Plusieurs couteaux de boucherie ont été découverts sur le site, à proximité des foyers. Leur présence montre, avec d’autres indices liés à l’étude des os d’animaux, que l’abattage et la boucherie ont été exécutés sur place. La typologie de ces instruments est très proche de celle utilisée par les bouchers actuels.

QUELS ALIMENTS SONT CONSOMMÉS LORS DE CES BANQUETS ?

De la viande de mouton, mais aussi de bœuf et de porc, ainsi que des céréales, des fruits, des fèves, des galettes, du pain et des préparations alimentaires ressemblant à du « boulghour ».

Les os collectés sur le site sont très bien conservés et des traces de découpe, et moins fréquemment de cuisson à la flamme, sont parfaitement visibles et montrent que ce sont des restes d’animaux sacrifiés en vue d’être consommés. L’inventaire de ces restes ne
révèle pas de lacune pour les moutons, les chèvres et les bœufs, alors qu’il manque beaucoup des meilleurs morceaux de porcs (tête, épaule et jambon), sans doute offerts pour être consommés ailleurs. Tout comme leurs congénères de l’époque, les mammifères domestiques élevés par les Gaulois sont assez petits et surtout très graciles. Il faut attendre la période romaine pour voir apparaître des formes beaucoup plus robustes.

La présence d’une vingtaine de foyers sur site témoigne de la cuisson de ces aliments, des branches et des frondes de conifères étant utilisées pour allumer les feux.

Chèvre. © Andrea Mazzarini / musée départemental des Merveilles

Guerriers gaulois. © Andrea Mazzarini / musée départemental des Merveilles

QUI PARTICIPE AUX BANQUETS RITUELS ?

Les nombreux fragments d’armement collectés témoignent de la présence de guerriers porteurs de lances, d’épées et de casques. Ces deux derniers éléments sont des attributs liés aux élites aristocratiques.

Le site est fréquenté par des guerriers et des aritocrates

Le parement des guerriers gaulois se compose des éléments suivants :

Lance :

Les pointes de lances présentent des formes variées et témoignent de l’hétérogénéité des équipements guerriers.

Talon de lance :

Les extrémités des hampes (partie en bois) des lances étaient renforcées par des embouts métalliques.

Barrette :

Élément de renfort du fourreau d’épée.

Bouterolle :

Pièce d’armature renforçant les extrémités des fourreaux d’épée. Ces éléments trouvés sur le site témoignent de la présence d’épées même si aucune n’a été découverte sur place.

Anneaux et chaînettes :

Ces pièces peuvent avoir été utilisées pour accrocher des éléments d’armement.

Casque :

Fragment de corne de casque.

Orle :

Le pourtour des boucliers en bois était renforcé par des liserés en métal.

Applique ornementale :

Élément en bronze pouvant correspondre à une applique décorative liée à un bouclier.

Umbo de bouclier :

Élément métallique permettant la prise en main du bouclier.

Fibule en fer (détail). © Loïc Damelet

QUELLES INFORMATIONS LIVRENT LES AUTRES OBJETS SUR L’IDENTIFICATION DES GUERRIERS ?

Le statut aristocratique de ces guerriers transparaît à travers des éléments de parure de qualité, parmi lesquels des fibules en fer et en bronze, des anneaux décorés en os et en bronze, dont un figurant vraisemblablement un loup, des bracelets serpentiformes en bronze, quelques perles en bronze, en verre, en ambre et en os, et même des instruments de toilette.

QUE DÉDUIRE DE L’ARCHITECTURE À PROPOS DES POPULATIONS QUI ONT ÉRIGÉ CE BÂTIMENT ?

Il s’agit d’une société fortement hiérarchisée. La construction du sanctuaire nécessite un pouvoir d’initiative et une conception préalable qui témoignent de l’existence de chefs. Des personnes nombreuses pour la construction impliquant une démographie importante. La simple extraction du volume des fossés correspond à 4 000 jours de travail pour un homme. Il convient probablement de doubler cette valeur pour intégrer les moyens indispensables à l’ensemble des terrasses, des murs, de la charpente et du toit. On peut ainsi estimer que ce chantier a demandé 8 000 à 10 000 jours de force de travail. N’en connaissant pas la durée, on ne peut pas définir précisément le nombre de personnes mobilisées, mais on peut néanmoins en déduire l’existence d’une population importante et disponible  localement.

EN CONCLUSION

Ce site est fréquenté par une population aristocratique guerrière qui tire ses ressources d’un territoire local, mais qui s’intègre dans des réseaux plus étendus lui permettant d’acquérir des objets de prestige venus d’Italie, de Provence et des Alpes. Cette aristocratie dispose de casques, d’épées, d’instruments de toilette, de bijoux qui indiquent un haut rang hiérarchique. De nombreux objets, parmi
lesquels le casque à cornes, révèlent des liens étroits avec l’Italie.

Par les moyens mis en oeuvre pour sa construction, le sanctuaire de la cime de Tournerie apporte un témoignage de la présence d’une population importante, qui remet en cause l’hypothèse de l’occupation sporadique de ces montagnes reculées par les seuls bergers transhumants. Les gestes cultuels identifiés sont en partie inédits, mais s’inscrivent pleinement dans ce que l’on connaît
de la culture celtique. En cela, on s’éloigne d’une perception d’une Gaule méditerranéenne uniquement ancrée dans le monde hellénistique.

Anneau zoomorphe représentant un loup. © Loïc Damelet